Récit d'un Témoin

LES MARTYRS DE JARNY
Comment le Maire et le Curé
TOMBÈRENT
sous les balles prussiennes
LE RÉCIT D'UN TÉMOIN

 

ANNEMASSE, 2 février. -

Parmi les rapports fournis aux commissions d'enquête figure dans les dossiers le récit de la quadruple exécution du maire et du curé de Jarny, fusillés le 26 août, avec les ouvriers mineurs Bernier et Fidler.
Le maire, M. Génot, avait été emmené comme otage à Metz, pendant une semaine, dès le début des hostilités. Il rentra dans sa commune pour assister aux scènes d'épouvante et d'horreur éclairées par la rouge lueur des incendies de la Grand-Rue.
Sa maison et celle de son voisin, M. Bérard, s'abîmèrent les premières dans les flammes. Mme Bérard eut son enfant tué sur son sein d'un coup de fusil. Pendant cinq jours, les Allemands lui refusèrent l'autorisation d'inhumer le petit cadavre qu'elle eut enfin la triste consolation d'enterrer elle-même dans une plate-bande de son propre jardin.
Une autre mère de famille, Mme Leroy, fille de M. Pérignon, dont nous avons relaté la fin tragique, essaya de protéger son bébé de cinq mois en élevant le bras gauche au-dessus de lui ; un coup de sabre lui trancha le poignet. Les Boches s'émurent alors, un de leurs médecins-majors ordonna le transport de la blessée dans un hôpital de Metz.
La fusillade en masse de 32 ouvriers italiens dans la cour de l'hôtel de ville, puis l'abominable exécution du maire et du curé mirent le comble aux atrocités.
Les Allemands accusèrent M. Génot d'être monté dans le clocher avec des chasseurs pour leur désigner les positions ennemies ; la même accusation fut portée contre M. l'abbé Vouot*.
- C'était une infâme calomnie, un prétexte odieux, déclare un témoin oculaire. Le maire de Jarny jouissait d'une corpulence qui suffisait à écarter une telle imputation. Lui, obèse et lourd, lui, presque incapable d'exercices réclamant un peu d'adresse et d'agilité, lui, gravir comme on le lui reprochait, l'escalier du clocher !.. En d'autres circonstances on eut souri de ce qui ressemblait à un tour d'acrobatie.
En vain le maire protesta avec énergie de son innocence. Les bourreaux refusèrent de l'écouter. Ils voulaient du sang. Le pillage des caves avait provoqué chez les Boches une ivresse féroce. Ils se battaient entre eux.
Plusieurs tombèrent sous le feu de leurs compagnons de débauche. Les enquêtes ouvertes sur les orgies où l'on ramassait des cadavres avaient convaincu la justice militaire que les « sales Français » avaient commis ces crimes :
- Oui, répétaient les officiers, blêmes de rage, on a tiré sur nous... on a tué nos soldats... »

Le sort de M. Génot fût vite réglé ; la complicité (!) de M. l'abbé Vouot* valut au digne prêtre l'honneur de marcher aussi vers le supplice ; les mineurs Dernier et Fidler furent compris dans le lot des condamnés.
Vers midi, les quatre hommes furent conduits sur la route de Doncourt. L'endroit choisi pour l'exécution fut le mur d'un enclos où jadis une famille de Jarny avait le droit de réunir ses sépultures et qu'en raison de cette particularité on désigne couramment sous le nom de « cimetière Bertrand » Là, un maréchal des logis de gendarmerie en retraite, de qui nous tenons ces renseignements, fut à son tour amené. Qu'avait-il fait ? Il n'en savait rien - et ses bourreaux n'en savaient pas davantage.
Une providentielle intervention le sauva. Un Bavarois eut pitié de lui ; il demanda sa grâce, jurant que ce maréchal des logis s'était bien conduit, qu'il avait servi la soupe à ses camarades.
On aligna les malheureux. Ils montrèrent un calme, une placidité admirables. L'abbé Vouot*, porta vers ses lèvres un crucifix ; mais le geste du prêtre déchaîna une explosion de fureur sauvage ; le chef du peloton arracha violemment l'image du Christ, la jeta jusqu'à terre, la piétina en hurlant, les plus ignobles blasphèmes.
-- Le bruit sec des fusils qu'on arme... un ordre... et je vis comme en un cauchemar les victimes s'écrouler sur le sol...
Et le témoin ajoute :
- Le curé n'était pas mort sur le coup. L'officier s'acharna alors sur l'abbé Vouot ; il lui creva les veux avec la pointe de son épée (Reproduction ci-dessous). Il lui écrasa le visage à coups de pommeau, répétant sans cesse la même phrase de haine, mâchant les mêmes outrages : « Tu ne g.... crieras plus ; Tu as fini de g... crier ! »
Puis, le fusil sur l'épaule, roides comme à la parade, les bandits s'éloignèrent du groupe immobile des martyrs étendus dans l'herbe devant le cimetière Bertrand.


Achille LIÉGEOIS.

 

 * Orthographe de l'article.

 

Ci-dessous les 3 pages de l'article (Internet  BNF)

Les martyrs p1 1Les martyrs p1 1 (111.12 Ko)

Les martyrs p2 1Les martyrs p2 1 (122.06 Ko)

Les martyrs p3 1Les martyrs p3 1 (113.93 Ko)

Sources :

Titre : La Grande guerre. La Vie en Lorraine / [Publié par René Mercier]
Éditeur : Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915

http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32783666t

Provenance : bnf.fr
Date de mise en ligne : 06/05/2013

 

Massacre Abbé Vouaux

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021