A Conflans et Jarny

 

Article de I. DESMONTS parut dans l'Est Républicain du 20 Mai 1919 Source : Le Kiosque Lorrain

 

 

A Conflans_et Jarny

 

Localités éprouvées. — Conflans fin avril.

Le massacre de Jarny. — Les maisons

mortes et blessées. — Malgré tout,

l'activité renaît. — Générosité américaine.

 

 

 

Conflans et Jarny, les deux localités rivales, qui, en 1913, se disputaient la suprématie du Jarnisy, ont également souffert pendant la guerre. La gare importante qui avait si largement contribué au développement de Jarny constituait pour nos aviateurs un objectif intéressant, les soirs où brillait la lune les habitants du quartier attendaient la venue des avions de bombardement, la chute des projectiles.

Ceux-ci dégringolaient un peu partout, sur la gare et les voies, oui, mais aussi sur les maisons du quartier, sur Conflans et sur Jarny. Les rivales d'avant-guerre sont redevenues soeurs dans le malheur !

Elles ont a peu près les mêmes besoins, leur vie est identique, elles sont heureuses d'être débarrassées de l'ennemi, elles attendent beaucoup de leur Patrie retrouvée qui ne doit ni ne peut les négliger. A Conflans comme à Jarny, les habitants ne se plaignent guère d'ailleurs, ils préfèrent travailler, mettre en pratique 1e vieil adage : « Aide-toi, le ciel t'aidera ».

Quand on débarque du train de Metz en gare de Conflans-Jarny, on éprouve une impression pénible par l'état plutôt lamentable des bâtiments dont la construction a été interrompue le 1er août 1914, non pas qu'il n'y ait eu plus de ruines. Les bombardements n'ont pas causés beaucoup de mal aux locaux dans lesquels les bureaux étaient installés, mais tout est sali, délabré , triste. De tout cœur, je plains les employés revenus dès l'armistice pour assurer la reprise des services. Eux ne se plaignent pas ; ils sont aimables, complaisants, heureux de retrouver les visages connus de leurs «  clients » de jadis.

Mme Cordier non plus ne se plaint pas et pourtant l'occupation a fait de son bel hôtel une grande maison vide, morne, dans laquelle il pleut.

Au début, les Allemands exploitèrent l'hôtel et le buffet pour leur compte ; puis ils cessèrent l'exploitation et emportèrent tout le matériel. Aujourd'hui, Mme Cordier tient une modeste buvette de la gare, elle reconnaît ses anciens clients, qu'elle accueille par un bon sourire.

La brasserie voisine est au repos, après avoir beaucoup travaillée pour les Allemands qui l'avait réquisitionnée pour en faire une fabrique de limonade de laquelle sortirent jusqu'à trente mille demi-bouteilles par jour. La main-d'oeuvre ne leur coûtait pas cher, puisqu'ils forcèrent à travailler à la brasserie les habitants du pays payés généreusement 10 pfennigs soit 2 sous l'heure.

En allant vers Conflans on passe près de plusieurs maisons démolies, dont la pharmacie du quartier de la Gare. Dans le chef-lieu de canton, nous retrouvons des connaissances : d'abord le maire M. Devaux a qui les ennuis n'ont pas manqué pendant l'occupation, et qui est actuellement l'objet d'une campagne de dénigrement systématique à laquelle il ne faut pas attacher beaucoup trop d'importances. M Gilles, le bon hôtelier, qui a réussi à se réinstaller tant bien que mal avec les débris de son mobilier volé par les envahisseurs. Le maréchal des logis de gendarmerie M Martin, devenu adjudant ; l'instituteur Masson, le percepteur Richier, le receveur des postes, l'agent-voyer sont à leur poste. Le docteur Chevalot est revenu aussi et est maintenant seul à Conflans, puisque notre ami Grandjean, ancien député, dont la vieille et confortable maison a été en partie détruite par les pojectiles, est allé se fixer en Alsace, bien qu'il lui en ait coûté de quitter un pays où il était si aimé.

Ce n'est pas encore le Conflans d'avant-guerre, cependant les habitants sont revenus nombreux ; il y a des épiceries ouvertes, des cafés, l'entrepôt de la brasserie de Champigneulle livre de la bière : il ne manque qu'un boucher, mais c'est une abstention qui se fait rudement sentir et que la population voudrait bien voir cesser au plus tôt, car elle a besoin de bon biftecks saignants, de côtelettes fortifiantes après un carême de presque 5 ans.

De nombreux immeubles sont occupés par des soldats américains, dont la conduite ne donne pas lieu à plaintes. Il en est de même à Jarny et à Labry. Les casernes de cette dernière commune, ou était le 16ième bataillon de chasseurs à pied avant la guerre, sont aussi occupées par des soldats des Etats-Unis.

Pour aller de Conflans à Jarny, nous suivons la grande route sillonnées constamment par des autos rapides ; dans un pré, des américains jouent au «  ball pease », d'autres les regardent, poussant de grands cris, aux beaux coups, comme des gosses. Les gens du pays affirment qu'ils aiment mieux ça que le travail, mais ils doivent se tromper.

Jarny est une grande blessée de la guerre ; au-dessus des toits, souvent troués, se dressent encore les murs branlants du clocher incendié par les Allemands dans les premiers jours d'août 1914. En mettant le feu à 1église, ils s'évitèrent la peine de voler plus tard les cloches, car elles fondirent dans le brasier ! En même temps que 1église, les soldats bavarois brûlèrent quelques maisons, pour varier les plaisirs, fusillèrent plus de 20 habitants, le maire et le curé en tête.

Je ne ferai pas un nouveau récit du massacre de Jarny, dont tous les journaux ont relaté les poignants détails. Je dirai seulement comment on explique au pays cet excès de sauvagerie que les envahisseurs semblèrent regretter plus tard.

Les autorités avaient donné 1'ordre de tuer les chiens, et les habitants 1'exécutèrent. Au moment précis où les soldats ennemis passaient devant sa maison, un homme tuait son chien à coups de révolver dans sa cave. Les Allemands crurent-ils qu'il tirait sur eux ? C'est possible. Telle est la première version, par laquelle certains expliquent la fureur de 1'ennemi. La seconde version a aussi ses partisans, elle est plus accablante pour les auteurs des assassinats et incendies, car elle implique la préméditation. Il y a 14 ans, des manœuvres ayant lieu aux environs de Jarny attirèrent des visiteurs venus de Metz pour voir évoluer des soldats français. Parmi ces visiteurs, il y avait des automobilistes dans lesquels des Jarnisiens crurent reconnaître des officiers du kaiser. La population, pour leur démontrer combien était grand leur manque de tact, mit le feu à l'auto et reconduisit les occupants hors du village, à grands coups de pied au bas du dos.

Or, ces gens mal arrangés étaient des officiers du 4e bavarois, qui promirent de se venger, tôt ou tard, de l'affront, et ce fut le 4e bavarois qui pénétra dans Jarny pour allumer l'incendie et apporter les fusillades ! Quoiqu'il en soit, Jarny a beaucoup souffert, ainsi qu'en témoignent les chiffres suivants.

En 1914, il y avait dans cette ville 398 maisons d'habitation contenant 1148 logements. Sur ce nombre, 22 maisons ont été complètement brûlées et 10 partiellement incendiées ; 35 maisons ont été complètement détruites par les bombardements et 100 l'ont été partiellement. A la fin de décembre 1918, il y avait à Jarny 85 pour cent de logements inhabitables.

Malgré cela, les habitants reviennent, nombreux, puisqu'au 1er avril 354 familles étaient déjà rentrées, formant un total de 1155 habitants, dont 414 hommes, 309 femmes, 372 enfants de moins de 14 ans. D'ailleurs pour se rendre compte du nombre des familles rentrées, il n'y a qu'à se rendre aux écoles que fréquentent 250 enfants.

La vie reprend très vite à Jamy, grâce surtout à la gare, dont les employés ont été rappelés tout de suite ; grâce aussi à l'amour des habitants pour leur cité ; tous s'emploient de leur mieux à effacer les traces des jours d'angoisses, si bien qu'un inspecteur du ministère des Régions libérées, venu récemment en cette ville a exprimé son étonnement d'une renaissance aussi prompte.

Les différents services fonctionnent : la poste est provisoirement installée dans une pièce de l'hôtel de ville, les écoles depuis longtemps ouvertes. Nous retrouvons avec plaisir le directeur ; M. Humbert, à qui la besogne ne manque pas, puisque, pour 250 enfants, il y a 2 maîtres et 3 maîtresses, Malgré cela, M Humbert trouve le moyen de collaborer très activement à tout ce qui peut hâter la reprise de la vie économique dans la ville qu'il aime et qui a contracté envers lui une dette de reconnaissance.

A la mairie nous trouvons M. Louis, 1er adjoint, faisant fonctions de maire depuis l'assasinat de M. Génot ; M. Grimard , adjoint. Restés tous deux pendant l'occupation, ils ont rendu les plus grands services, administrant la commune avec autant d'énergie que d'intelligence ; M. Dieu, 1e dévoué secrétaire,que nous avons rencontré pendant la guerre « en maréchal des logis » est là.aussi.

Le conseil municipal s'est réuni plusieurs fois depuis l'armistice : il faut bien liquider la situation, préparer l'avenir.

Parmi les délibérations prises, citons : 1° celle chargeant l'agent-voyer cantonal de dresser un plan d'alignement, dont on ne devra pas s'écarter, pour la reconstruction des immeubles ; 2° celle chargeant M. Firraud, architecte, de préparer un plan d'embellissement de la ville ; 3° celle décidant que le groupe scolaire comprenant 10 classes, va être restauré ; et enfin, celle ayant décidé qu'un monument sera élevé aux malheureuses victimes des massacres d'août 1914.

Pendant que les conseillers travaillent ainsi pour le bien de la cité, les affaires reprennent, les commerçants reviennent dès qu'ils sont démobilisés. M., le docteur Bastien va reprendre sa place incessament, si ce n'est déjà fait.

La pharmacie Masson est réouverte depuis plus d'un mois M. Idoux, directeur de « l'Energie et Eclairage » est rentré aussi et travaille activement à la remise en état du réseau électrique. Bien que n'ayant pas d'église, l'abbé Vouaux est revenu au milieu de ses paroissiens.

Il arrive même des personnages dont Jarny se passerait volontiers, par exemple les Italiens qui reviennent sans la moindre autorisation, sans doute parce qu'ils en ont plus besoin que n'importe qui, et les « filles de joie » qui accourent nombreuses. Ces indésirés sont parfois, il est vrai, assez embarrassés pour trouver un gîte, car les baraques de la route de Doncourt ont disparu et la municipalité est bien décidée à empêcher leur reconstruction. La route de Doncourt était à Jarny ce que la côte de Montois était à Joeuf; ce coin, où il ne fallait pas promener seul le soir. Les boches ont emporté les cantines en planches qui en faisaient le plus bel ornement, et personne ne s'en plaint, bien au contraire.

Ce qui attire a Jarny des gens dont on ce passerait volontiers, c'est sans doute la facilité avec laquelle on peut se procurer le boire et le manger. En plus du ravitaillement officiel, dont le fonctionnement est parfaitement assuré par la mairie, on trouve tout ce qu'on veut dans les 10 épiceries actuellement rouvertes. Dans les cafés, les clients ont le choix entre la bière brune et la bière blonde, et, enfin les jarnisiens peuvent, grâce à la maison Cordier, de Toul, à laquelle je fais ainsi une réclame entièrement gratuite, avoir un vin, du vrai vin fait avec du raisin, à vingt-huit sous le litre.

Je m'en voudrais de terminer sans signaler une oeuvre, due à nos alliés, dont les habitants du canton de Conflans apprécient hautement la générosité. Cette œuvre, la « Croix-Rouge américaine », a installé Verdun un centre que dirige le captain W. Clark, secondé par la charmante et si simple miss Mathilda Spence. Le centre de Verdun a établi à Jarny un vestiaire dont la direclion a été confiée à Mme Humbert, qui a saisie avec empressement cette occasion de faire le bien. Le vestiaire de Jarny a distribué aux sinistrés de 23 communes de nombreux effets, de la literie et même des meubles.

Il faut lire les lettres de remerciements, adressées par les maires à Mme Humbert, au captain Clarck ou à miss Spence, pour se rendre compte de la joie apportée par nos amis d'Amérique à nos malheureux compatriotes.

Il est 16 heures lorsque nous quittons Jarny le soleil brille; dans les champs bordant la route les cultivateurs retournent la terre pour de prochaines moissons, des prisonniers allemands travaillent à la réparation du mal fait par leurs frères. Malgré tout, malgré la sauvagerie de l'envahisseur, malgré les erreurs de nos admistrations et les lenteurs des bureaux, la prospérité reviendra dans ce pays, parce que la population le veut.

I. DESMONTS.

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Date de dernière mise à jour : 23/07/2018