Les anniversaires tragiques

Article parut dans l'Est Républicain N° 11644 1ere page en date du Dimanche 31 Août 1919 (Source : BNF)

 

 

Les anniversaires tragiques

 

Jarny

 

A Jarny, les Allemands se conduisirent comme des bandits en août 1914. Sans qu'on sache pourquoi, ils fusillèrent froidement une vingtaine d'habitants, dont le maire et le frère du curé, remplaçant celui-ci pour quelques jours.

Jarny a commémoré ces jours tragiques en une cérémonie à laquelle participait plus d'un millier de personnes.

Sous le soleil ardent, la foule alla pieusement s'incliner aux endroits où des hommes tombèrent sous les balles allemandes. Dans les cœurs il y avait de la tristesse, la journée était belle pourtant, mais comment s'associer à la joie de la nature en ce jour anniversaire de deuils, de ruines, d'angoisses et de larmes.

Ils étaient là les témoins des massacres et dans leurs yeux passait encore l'atroce vision des poitrines trouées pendant que des orateurs évoquaient les heures sombres du 20 août 1914.

Il y a 5 ans dans cette petite ville, alors en pleine expansion, le maire M. Génot, l'abbé Vouaux, professeur à la Malgrange, des italiens, furent assassinés bien que n'ayant rien fait. Voilà l'obsédante pensée qui ne nous quitta pas pendant la cérémonie. Voilà ce que n'oublieront pas les habitants de Jarny et voilà ce dont nous tous, habitants de cette région, nous devons nous souvenir.

La commémoration des massacres de Jarny fut tout à la fois une cérémonie simple et imposante. A 9 heures le cortège se forma devant la mairie. Nous remarquâmes le premier adjoint M Louis, faisant fonction de maire depuis l'assassinat de M. Génot : M. Grimard, 2ème adjoint ; les conseillers municipaux ; M de Wendel, député ; M. Massoni, sous-préfet ; M. Beugnet, conseiller d'arrondissement ; M. Michel, maire de Labry ; M. Royer, maire de Doncourt ; M. Devaux, maire de Conflans ; MM. Leckmann, Schiffer, Quentin, directeurs d'usines, des amis des victimes : le capitaine Moncelle, M. Draux ; M. Cordier, M. Hottier, M. Gadolle, une délégation de 6 officiers du 20° bataillon de chasseurs à pied, en garnison à Labry, où il remplace le 16°.

Précédés de la fanfare du 20° chasseurs, jouant une marche funèbre, on se rendit d'abord à l'endroit où M. Génot, l'abbé Vouaux et 2 habitants furent tués par les envahisseurs, fusillés comme des malfaiteurs, eux qui n'avaient rien fait que refuser de courber la tête devant l'ennemi.

M de Wendel prit la parole. Devant le mur témoin du crime, il retraça les phases de la tragédie, il montra la fureur des Allemands, prêts à tuer, et le calme des Français, prêts à mourir. Sa conclusion fût que nous ne devons pas nous endormirsi nous voulons éviter le retour de pareils horreurs, car l'Allemagne est toujours là, toujours forte, toujours décidée à se jeter sur ses voisins dès que l'occasion lui semblera favorable.

On se remit en marche jusqu'au point où les Italiens tombèrent, victimes de leurs anciens alliés. Là ce fut le consul d'Italie qui parla, en Italien. Il dit l'horreur causé en Italie par le crime de Jarny et chanta l'amitié franco-italienne de laquelle est issue la victoire des latins sur les germains. Le pélérinage aux endroits lugubres étant terminé, on s'en alla à l'église prier pour ceux dont le sang coula. Mgr Rush, évêque de Nancy, officiait. A l'issue du service funèbre, un professeur de la Malgrange monta en chaire pour prononcer un éloquent sermon. Le catafalque, dressé en cette église, décapitée de sa tour par l'incendie allumé par les Allemands, doit être pour nous le symbole de l'union sacrée, dit-il, il est élevé à la mémoire du prêtre et du maire, d'hommes d'exception et de nationalités diverses unis dans la mort pour la France ; unissons-nous dans la vie pour que cette France soit toujours plus belle et plus forte.

Puis nous allâmes sur la tombe des victimes, dernière station du pélérinage. Le deuil conduit par Mme Vouaux et l'Abbé Vouaux, mère et frère du prêtre fusillé, par Mme Génot, veuve du maire assassiné et par sa belle-fille, veuve elle aussi, car la famille Génot, si connue dans toute la région comme une des belles familles, orgueil de notre Lorraine, a été cruellement éprouvée pendant cette guerre, Par MM. Génot, de Briey et d'Etain.

Au cimetière, ce fut M. Massoni qui prononça un émouvant discours. Au nom du gourvenement, au nom de la France, il promit aux morts qu'ils ne seront pas oubliés. En effet, dans une pieuse pensée, la municipalité de Jarny à décider de donner le nom de Génot à une place et celui de l'abbé Vouaux à une rue de la ville. Ainsi sera perpétué le souvenir de ces bons français.

Dans quelques années, lorsqu'un enfant ignorant tout du sombre drame, lira leurs noms sur une plaque bleue, il demandera : «  Qui c'était dit maman, que M. Génot et l'abbé Vouaux ? » Et la mère répondra : «  C'étaient des braves gens qui furent tués par les Allemands lorsqu'ils vinrent à Jarny en 1914 ; les Allemands sont méchants, s'ils revenaient jamais, il recommenceraient leurs crimes. C'est pourquoi, mon petit, tu dois bien aimer la France et la défendre si besoin est. »

 

I. DESMONTS

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Date de dernière mise à jour : 20/02/2016