Souvenirs d'un témoin 24-08-1938
Conflans- Jarny
Les terribles journées
de l'invasion allemande
en août 1914
SOUVENIRS D'UN TEMOIN
Dimanche prochain, 28 août, Jarny commémorera le 24e anniversaire des tragiques journées des 25 et 26 août 1914 ;
journées de terreur, inoubliablés'pour les jarnysiens qui les vécurent.
Nombreux sont les habitants actuels de notre localité, qui ignorent le martyr subi par les habitants de Jarny , dès le
début de l' occupation allemande, aussi avons-nous cru utile de rappeler brièvement ces tristes événements.
Dès le début des hostilités, Jarny fut à plusieurs reprises le théâtre d'escarmouches entre patrouilles françaises et
allemandes. La surveillance de notre localité était assurée les 10 premiers jours par des déta- chements du 16e B.C.P.
et du 10e Chasseurs à Cheval, qui le jour, stationnaient à Jarny , aux environs du square actuel. La nuit, ces détache-
ments se repliaient sur Conflans. De nombreuses rencontres eurent lieu entre patrouilles françaises et allemandes et
à la suite de ces combats, nos chasseurs à pied ou à cheval, ramenaient fièrement les trophées laissés par l'ennemi sur
le terrain. Ces trophées : lances, carabines, casques, étaient exposés devant la Brasserie des Sports, où siégeait le
commandement des détachements.
Après le 10 août, les avant-postes disparurent et seules des patrouilles, de quelques hommes, traversaient de temps à
autre notre localité. Nous citerons particulièrement l'escarmouche, qui eut lieu le 14 août et dont les conséquences
devaient avoir des répercussions sanglantes sur notre ville, quelques jours plus tard. Vers cinq heures du matin, trois
chasseurs cyclistes du 16e B.C.P., se postaient en embuscade dans le fossé situé près du petit cimetière, avenue de la
République. Camouflé chacun derrière un arbre, nos chasseurs attendaient patiemment une patrouille, d'une dizaine
de fantassins allemands, qui venant de Labry à bicyclette, devait pénétrer à Jarny . A peine l'ennemi avait-il débouché
devant la Belle Jardinière, que nos chasseurs ouvrirent le feu sur lui. Plusieurs allemands s'écroulèrent, les autres firent
demi-tour et s'enfuirent, abandonnant leurs camarades blessés. Les chasseurs, observant la consigne qui leur avait été
donnée, ne pourchassèrent par l'adversaire, firent demi-tour et regagnèrent Conflans. M. Henri Génot, maire, aidé de
quelques Jarnysiens, se rendirent aussitôt sur les lieux et ramassèrent les armes et les sacs des soldats blessés. Ceux-ci
furent hospitalisés à l'infirmerie aménagée aux écoles Alfred Maizières. Les patrouilleurs allemands, qui n'avaient pas vu
nos chasseurs, imputèrent leurs pertes à des francs-tireurs . . . imaginaires, aussi le même jour, vers 10 heures du matin,
une compagnie d'infanterie allemande pénétra dans Jarny et vint s'installer devant la Mairie, alors que des patrouilles de
Hussards de la Mort étaient placées en surveillance devant le Café Belle-Vue et d'autres auprès du cimetière communal.
Les Allemands procédèrent à l'arrestation du maire et de nombreux habitants furent appréhendés, sommés de quitter leurs
demeures en laissant les clés sur les portes. Des perquisitions eurent lieu dans les lo gements de la Belle Jardinière. Pour
se protéger d'une attaque possible des Français, le chef du détachement avait fait rassembler tous les civils, hommes, femmes
et enfants, contre le mur de la cour de la mairie, devant les faisceaux des fantassins allemands. Le premier travail de nos
indésirables visiteurs fut de dévaliser les caves des maisons voisines et de mettre la mairie à sac. Les soldats qui s'abreuvaient
de bonnes bouteilles, commençaient à devenir menaçants, certains prenaient plaissir à pointer leur bationnette sur la poitrine
de civils terrorisés. Des heures entières s'écoulèrent. Un soldat sortant de la mairie avec le portrait encadré du Président
Poincaré, se plaça devant les civils et d'un furieux coup de poing déchira le portrait qu'il jeta sur une voiture réquisitionnée
pour le transport des objets volés. Vers quatorze heures, une clameur de jurons, incompréhensibles pour la plupart des civils,
se fit entendre et l'on vit apparaître M. l'Abbé Léon Vouaux, frère de notre curé actuel, qui, du Collège de la Malgrange, où il
était professeur, était venu à Jarny dès les premiers jours de la guerre, remplacer son frère mobilisé. M. l'Abbé, tête nue,entouré
de plusieurs soldats, l'arme au point, était amené sur la place, face aux soldats, qui presque tous en état d'ivresse, lui
adressaient en pleine face toutes sortes d'insultes. Qu'allait-il advenir? Après un entretien avec les officiers du détachement,
M. l'abbé fût relâché et de nouvelles clameurs ironiques saluèrent le départ de cet homme admirable, qui ne se départit pas un
seul instant d'une attitude digne, calme et courageuse. Plus les heures s'écoulaient, plus l'attitude de l'ennemi devenait
menaçante. Les civils immobilisés contre le mur en plein soleil, entourés de soldats de plus en plus ivres, commençaient
de désespérer de leur sort.
Vers quinze heures, deux pensionnaires du Café du XXe Siècle, sur la route de Droitaumont, furent amenés par des cavalliers
qui les frappèrent à coups de lance; les hussards signalèrent à leur chef, qu'un fusil de chasse avait été découvert dans l'habita-
tion ; ceux-ci, qui comme pensionnaires ignoraient la présence de cette arme, n'en furent pas moins collés au mur et surveillés
de très près. Cet événement n'avait fait qu'augmenter la rage des soldats, qui les yeux brillants de haine et d'ivresse, menaçaient
à qui mieux mieux, les malheureux civils attérés, qui ne durent leur salut qu'à un événement imprévu, en effet un peu plus tard
deux hussards débouchant de la route de Mars-la-Tour, arrivèrent au galop sur la place, criant «Franzosen», après quelques
paroles échangées avec le chef du détachement, un coup de sifflet retentit, les soldats mirent sac au dos et prirent en toute hâte
la direction de Metz, emmenant avec eux comme otage M. Henri Génot, maire de Jarny . Les sentinelles de garde au café
Blanchou furent alertées à leur tour, et à leur passage devant la mairie, sommèrent les deux innocentes victimes du Café du
XXe Siècle, de marcher devant elles. Dès ce départ, les civils enfin libres, regagnèrent hâtivement leur demeure, heureux de
se trouver sains et saufs après tant de frayeur. Quant aux deux malheureux, les Hussards les abandonnèrent au passage à
niveau de Doncourt, après les avoir malmenés sauvagement, ils revenaient de loin. On apprit par la suite que le départ
précipité des Allemands, était dû uniquement à la présence de deux chasseurs à pied, qui avaient fait une apparition aux
environs de Droitaumont. Ceux-ci ne se sont peut-être jamais douté de leur exploit, car sans cela il est à se demander, ce
que seraient devenus les civils.
Le lendemain matin, 15 août, un des chasseurs qui avait fait le feu sur la patrouille allemande, revint seul à Jarny pour faire
quelques emplettes; on lui apprit les accusations mensongères du blessé allemand soigné à l'infirmerie par le docteur Bastien,
qui ne cessait de déclarer que les civils avaient tiré sur eux; on retint avec peine notre chasseur, qui devant cette fausse
accusation voulait faire un mauvais parti à l'auteur de ce mensonge; mensonge qui devait quelques jours plus tard servir de
prétexte au massacre d'innocentes victimes et à l'incendie de notre localité.
Nous donnerons dans quelques jours le récit des sanglantes journées des 25 et 26 août 1914 .
Jules PERRIN.
Archives du Rl du Mercredi 24 Août 1914
Date de dernière mise à jour : 06/10/2025