Jarny Août 1914

Source : JARNY,NOTRE HISTOIRE (DE 1858 A 2012) LA 1ère GUERRE MONDIALE

 

Les archives ayant disparu, nous reproduisons intégralement le récit écrit par Mr Nicolas LAMORLETTE,

qui a vécu cette difficile période en s’impliquant dans l’organisation du ravitaillement et qui est devenu

secrétaire Général de la Mairie de 1919 à 1951.


" Le 3 août, c’était la déclaration de guerre. Jarny devait se préparer à souffrir, à subir les pires humiliations.

Nous allons vous retracer les faits qui se sont déroulés.

Tout d’abord Mr le curé Auguste VOUAUX était mobilisable. Il demanda à son frère Léon VOUAUX,

professeur au collège de la Malgrange à Jarville, de venir le remplacer. L’abbé Léon VOUAUX arrivait à

Jarny le 30 juillet au soir.

Le lendemain, il prenait contact avec Mr Henri GENOT, Maire et le 1er août au matin, Mr l’abbé Auguste

VOUAUX et son vicaire l’abbé VEIBER, prenaient la direction de Verdun. La séparation était acceptée.

« Nous ne nous retrouverons plus en ce monde, nous nous reverrons là-haut. ».

Les premières journées ne furent marquées par aucun fait saillant. Jarny était zone neutre où, tour à tour,

apparaissaient des patrouilles françaises et allemandes.

Les chasseurs à cheval ayant eu une rencontre avec une patrouille allemande, ils laissèrent sur place un

mort, le brigadier FRERON, du 10éme chasseur qui fut inhumé le 8 août dans le cimetière communal.

Le 10 août, ce fut Joseph COLLIGNON qui portait ses fusils de chasse à la mairie, qui fut massacré et

percé de lances par les allemands. Traîné à la mairie, il réclame le prêtre et expire bientôt.

Le 14 au matin, 2 chasseurs à pied s’étaient embusqués derrière le mur du jardin THONON pour surveiller

la bifurcation de la route de Labry. Apparaissent des cyclistes allemands, des coups de feu éclatent et 2

ennemis tombent, puis nos chasseurs rejoignent leur compagnie vers Droitaumont, sans se douter des

conséquences de leur initiative. Le blessé est transporté à l’infirmerie de la croix rouge, il crie que les civils

ont tiré sur eux. Grand brouhaha, vociférations de la part des camarades. Ils arrachent une douzaine

d’habitants de leurs demeures et les plaquent sous bonne garde au mur de la mairie.

A l’intérieur, la scène est indescriptible. Les meubles sont brisés, les paperasses administratives, déchirées,

jonchent le sol. Le Maire discute avec les chefs tandis qu’à l’infirmerie, le Dr BASTIEN s’efforce de

démontrer  que la blessure est due à une arme de guerre. L’abbé Léon VOUAUX, qui avait voulu se

rendre compte de  la situation, reçut un coup de crosse qui lui mit le visage en sang. Enfin, un arrangement

se conclut et de  l’argent et une quantité de bouteilles de vin et de bière paieront la mort du soldat allemand,

dont le corps  est mis dans un cercueil, chargé sur une voiture et dirigé vers la frontière. Néanmoins,

le Maire devra disculper sa commune devant les grands chefs de Metz.

Tout à coup, dans l’après-midi, sur la route de la gare, des cris retentissent : « Franzose ! Franzose ! ».

Les boches prennent peur et disparaissent vers Doncourt, sans s’inquiéter des habitants arrêtés le matin,

mais, par malheur eurent le temps d’emmener le Maire comme otage.

C’est alors que l’abbé Léon VOUAUX va s’occuper de sa délivrance. Il rédige l’exposé des faits de la journée

du 14, le fait approuver par le Conseil Municipal et l’adresse aux autorités allemandes.

Le dimanche 23 août, les troupes défilent dans la direction de Verdun jusqu’à 10 heures du soir. Le 24 à 6 h,

nouveau défilé accompagné de chants et des exclamations : « Verdun – 5 jours ! … Paris, 8 jours ! ».

Puis une nouvelle presque rassurante se répand : le Maire est ramené aussi, l’abbé VOUAUX accourt,

heureux de saluer le compagnon des responsabilités communes.

Dans l’après-midi, Mr GRIMARD, Adjoint, se rendait à la cure pour inviter l’abbé Léon VOUAUX à se

rendre chez le Maire avec les 2 Adjoints pour s’entendre tous 4 déclarés responsables de l’attitude de la

population « Si les habitants tirent sur nos troupes, vous serez fusillés ! ».

Les combats des 24 et 25 août dans la Woëvre, furent un grand échec pour les allemands. Un certain

nombre des blessés furent amenés à Jarny. Dans la matinée du 25, les allemands tentent une diversion et

leurs troupes, appuyées de plusieurs pièces de canons, défilent dans nos rues. Le chef de la manoeuvre

était le Général PELKMANN, commandant l’artillerie de forteresse de Metz.

Au début de l’après-midi, la canonnade se rapproche, l’artillerie française tire de Friauville, les obus

arrivent jusque dans Jarny et vers la gare. Les habitants se réfugient dans les caves des écoles. Malheur=

eusement, Ernest L’HERMITE, revenant de son travail, allait rentrer tranquillement chez lui, prés du

clocher, quand un soldat lui tira un coup de fusil, il s’écroula. Les infirmiers accoururent et le

transportèrent à l’ambulance dans un état jugé très grave. L’abbé VOUAUX, prévenu, arrive à temps

pour lui donner l’extrême onction. Dans la grand’ rue, les maisons commencent à flamber. Vers 9h des

obus tombent sur la maison Sacré, les éclats blessent des officiers qui passaient en automobile, un peu

plus loin, un éclat fend la tête d’un soldat aux environs du Rougewald.

Les soldats appartenaient à un régiment bavarois qui venait, a-t-on su plus tard, de s’illustrer bien

tristement à Nomeny. Furieux, ils pénètrent dans les maisons. De la cave de Mr BERARD, ils arrachent

un italien naturalisé, Mr AUFIERO et l’accusèrent d’avoir tué leur camarade, ils le frappent brutalement

et, malgré les supplications de sa femme, le fusillent sur le champ.

Dans la maison voisine c’est encore pire. Pour échapper aux flammes Mr et Mme PERIGNON, leur fils

âgé de 17 ans, leur fille Mme LEROY avec son fils se réfugient dans la cour. Les bavarois les découvrent,

abattent d’abord les parents. Fernand ayant voulu se relever, est traîné quelques mètres et achevé à coups

de crosse de fusil. Mme LEROY ne sait comment elle a passé au travers, la main broyée emportant son

enfant qui mourra peu de temps après.

C’est aussi en fuyant sa maison en feu que Mr BERARD, entouré de ses enfants et de la famille AUFIERO,

eut la douleur de voir son fils Jean, âgé de 5 ans, frappé de plusieurs balles. Deux fillettes AUFIERO

étaient blessées, l’une à la jambe, l’autre à un bras qui dû être amputé. Mr BERARD dû creuser la fosse

où l’on étendit le petit corps. Et c’étaient les habitants qui tiraient sur les soldats !

Pendant le même temps, sur la route de la gare, vers le chantier Pagny, 2 ouvriers sont tués dans des

circonstances inconnues.

Plus loin, au quartier de la gare, des artilleurs dont leur batterie était installée en face le Café du

Commerce, aperçurent Mr FOURNIER et son neveu Henri MENNE qui les regardaient par le soupirail

de la cave. Ils les cherchèrent, les firent monter en auto et puis descendre prés du petit cimetière Bertrand

TOUSSAINT. Et là, immédiatement, un feu de salve les coucha à terre ; l’un d’eux ayant essayé de se

relever,  une 2éme salve termina son agonie.

Devant la mairie un groupe d’italiens étaient rassemblés, plusieurs ont été blessés et tués par des troupes

de passage. C’est alors qu’un officier supérieur fit venir à la mairie Mrs GENOT Henri, GRIMAUD et

L’HERMITE, Conseillers Municipaux, et chargèrent le Maire de trouver un autre groupe comme représentant

la population. C’est ainsi qu’un groupe sortant des caves des écoles composèrent ce groupe. C’étaient Mrs. J.

COLLIER, N. PARISOT, N. BINZ, pères de famille et 2 jeunes gens J. BERNIER et F. FIDLER. Mais l’ennemi

voulait surtout le « Pastor », les soldats le cherchèrent au presbytère et l’amenèrent. Puis ce groupe fut conduit

dans le bas du village qui brûlait. Mr L’HERMITE parvint à s’enfuir par son jardin où il s’est caché, il regardait

brûler sa maison.

Le Commandant du détachement déclara alors : « Nous allons remonter le village et le camp sera établit de

l’autre côté. Vous marcherez devant la colonne et si les habitants ne tirent plus sur nos troupes, vous n’aurez

pas à craindrepour votre vie, vous serez libres demain matin. ».

Des commandements retentissent, les prisonniers sont placés en tête. L’abbé VOUAUX a pris le bras du Maire

en disant : « Montrons-leur que le courage ne nous manque pas ! » Et tous se mettent en route au milieu des

maisons qui flambent.

La traversée de Jarny se fit sans incident et le camp est installé à proximité d’une batterie rangée sur la route

de la tuilerie, répondant aux batteries françaises dans la direction de Friauville.

Les débats reprennent entre prisonniers et officiers et le soir tous les captifs sont autorisés à rentrer chez eux

pour se restaurer – c’est Mme GENOT qui en prit la charge. Mais à 9 h du soir, Mr GENOT, Maire, Mr l’abbé

Léon VOUAUX et tout le groupe étaient de nouveau ramenés, mais, au lieu de laisser leurs prisonniers en plein

air, les allemands les firent rentrer dans le café « Belle Vue » où les propriétaires, Mr et Mme BLANCHON et

leur fille, étaient surveillés en compagnie de Mr FROSCHARD, Mr et Mme REISCH et leur petit-fils. Pendant

2 h la petite salle ressemblait à une réunion amicale, les officiers allemands conversaient avec le prêtre et le

maire. Quand, tout à coup, vers 11 h, des coups de feu reprennent avec violence : ce sont les soldats qui, sous

l’emprise de la peur et de la boisson, tirent au hasard et hurlent de fureur. Le tumulte est tel qu’à 2 km il terrifie

les habitants de Labry. Des soldats sont montés dans le clocher et tirent aussi bien sur leurs camarades. La

vengeance ne tarde pas. La réservede pétrole et de luciline d’une épicerie voisine en fournit les moyens. Après

arrosage, le feu fut mis et les escaliers et les planchers du clocher forment bien vite une fournaise activée par

le grand tirage de vieille tour. La charpente de la flèche est vite atteinte et dans la nuit, meurtrières, damiers,

fenêtres rougeoient et scintillent au-dessus des autres incendies jusqu’à ce que horloge, poutres et cloches se

fussent abîmées sur le sol. En même temps, les brandons tombés du faîte communiquaient le feu à la sacristie

qui reliait la tour au choeur de l’église. On n’a jamais pu comprendre comment la tour du sanctuaire avait pu

échapper au désastre. 8 ans après, l’un des cadrans de l’horloge suspendu aux ruines, marquait encore l’arrêt

du mécanisme : 2 heures et demie du matin.

Témoin de l’incendie de la flèche, l’abbé Léon VOUAUX répéta plusieurs fois : « pourvu que la sacristie et le

presbytère ne brûlent pas ! » Hélas !

Les prisonniers purent sortir pour contempler le lugubre spectacle de la localité en flammes. Mais bientôt,

grand revirement, des soldats arrivés en courant venaient de communiquer un ordre aux 2 officiers présents

dans la salle. L’un disparaît sur le champ, l’autre crie au Maire : « Vos habitants tirent sur nos troupes ! » et

lance en allemand quelques paroles à l’abbé qui répond simplement : « Comme vous voudrez ».

Qu’avait-il annoncé au prêtre ? Lui seul connaissait son destin et celui du Maire.

Le 26 de bon matin, le général PELKMANN revient de Metz. A l’entrée de Jarny, une sentinelle arrête son auto

et lui raconte que les habitants tirent sur les troupes, même du haut du clocher (lequel était brûlé) et qu’il est

dangereux de traverser. Fureur du général qui, au milieu de ses vociférations, donne l’ordre de fusiller le

Maire et le curé. Quelques heures plus tard, un peu calmé, loin de revenir sur sa sentence, il a le cynisme de

répondre au messin qu’était son conducteur qui hasarde un mot en faveur des captifs : « j’ai pris ma décision

en conscience. Je ne me reproche rien. Le gros Maire sera fusillé parce qu’il est responsable de la population ;

le curé sera fusillé parce qu’il a laissé son église ouverte et ainsi permis de monter dans le clocher. Le

commandant d’étape qui va être nommé verra ce qu’il faut faire des autres. ».

A 5 h, les gardiens sont remplacés, par ce nouveau poste les prisonniers sont traités plus durement « Il nous

fait sortir, écrit Mr COLLIER, et nous aligne le long de la façade avec défense de parler ni de se regarder.

Nous sommes restés dans cette position plusieurs heures. ».

Mr GRIMARD avait été chargé de faire enterrer le soldat allemand tué prés du Rougewald. Sa corvée

terminée, il revenait, mais Mr GENOT lui cria : « Va-t-en ! ». Il fit demi tour est fut sauvé. Par ailleurs, la

cruauté allemande s’étalait toujours.

Au matin, 8 ou 9 italiens furent conduits au débouché du chemin de la cartoucherie, face au jardin du Dr

BASTIEN, et obligés de creuser une espèce de tranchée. Alors les allemands prétextant la lenteur de la

besogne, les abattirent à coups de révolver dans la fosse ouverte, où ils les laissèrent sans vie.

C’était à 200 m environ de la maison BLANCHON, les prisonniers entendirent ces coups de feu et se deman=

daient quand viendrait leur tour, car injures et menaces ne leur étaient pas épargnées. Leur chance de salut

leur fut présentée inopinément.

Vers 10 heures, le général PELKMANN revenait de Conflans où, seule la vitesse de son auto empêcha une

patrouille française de le capturer ou de le tuer. Il fit stopper et descendit devant les malheureux allant et

venant avec les officiers.

L’abbé Léon VOUAUX saisit cette suprême occasion, il s’adressa au sous officier de garde, lui exposa son

projet de s’offrir lui-même, seule victime, pour sauver ses compagnons. Il met une telle âme en sa requête,

que cet homme en est touché et risque d’avertir le général vers lequel ils font quelques pas. Ce ne fut pas

long, instantanément, il tourna le dos au prêtre proférant : « Rien à faire ! » et avant de remonter en voiture,

invectiva son trop compatissant sous-ordre, comme savent si bien s’y prendre les supérieurs allemands.

A partir de ce moment, l’abbé VOUAUX ne quitta plus son bréviaire qu’il usait depuis son sous- diaconat.

Il a été retrouvé par Mme BLANCHON et remis par elle à son frère. Mr GENOT fit tout son possible pour

glisser son portemonnaie à Mme BLANCHON, lui demandant de le remettre à sa famille : « Je n’en ai plus

besoin ».

Maire et curé attendaient leur exécution. Elle ne tarda plus. Vers 11 h, un major du 65éme bavarois 

VON KAYSER, qui avait été nommé commandant d’étape, s’approcha de la maison révolver au poing.

Il s’avança vers la ligne des prisonniers et se mit à crier : « Vous allez mourir ! ». Puis sans autres paroles,

il fait avancer du côté est de la maison Mr GENOT et l’abbé Léon VOUAUX, facilement reconnaissable.

Comme l’abbé VOUAUX portait en évidence sa croix, l’ordre lui est intimé 3 fois de la cacher. Trois fois,

l’abbé semble ne rien comprendre. Alors un jeune lieutenant lui arracha des mains le crucifix qu’en ricanant,

il montre à Von Kayser et l’enfouit dans sa poche. Mais il fallait 4 otages, le major choisit on ne sait pourquoi

les 2 jeunes Jean BERNIER et François FIDLER. Il est dés lors satisfait, écoute les protestations d’innocence

des autres condamnés et d’un bref commandement, les fait rentrer dans la maison.

Dans une troupe qui passait, VON KAYSER recrute des volontaires pour fusiller les espions. Et tandis que le

petit peloton se formait en contrebas du chemin, les 4 infortunés, face aux soldats, face à la bourgade, purent

sentir longuement le frisson de l’agonie, car avant de les mettre à mort, on attendit l’écoulement d’un régiment.

L’abbé Léon VOUAUX prépara ses compagnons au sacrifice suprême et leur donna l’exemple de la résignation.

Debout, tête nue, les mains croisées, tenant son chapeau tout en serrant son chapelet qui avait remplacé le

crucifix, il garda sans défaillance son attitude habituelle, simple et résolue.

A ses côtés, Mr GENOT, accablé de fatigue, sans coiffure sous l’ardent soleil, semblait toujours ne rien

comprendre à l’inique sentence et ramassait ses forces pour rester debout. FIDLER et BERNIER, alignés à la

suite, pleuraient à chaudes larmes. Et voici que, tout à coup, l’officier chargé de l’exécution, mu par on ne sait

quel sentiment, avance au milieu des condamnés, et tend le bras du côté du Maire et du prêtre en criant : « Ici,

pas de catholiques ! » puis commande la mise en place des soldats. Les fusils sont épaulés, le feu commandé. Et

les 4 corps s’affaissent sur le chemin, baignés dans leur sang.

L’abbé Léon VOUAUX est tombé en avant, les bras écartés, une affreuse blessure derrière l’épaule gauche. Le

coupde grâce tiré tout de suite après, fit un petit trou vers la tempe. A la montre d’un rescapé, il était à ce

moment là11h20. Un médecin de Longeville les Metz fut chargé de constater la mort des otages. Il se redressa,

a-t-on  remarqué, plus pâle que son cheval blanc.

Puis les survivants de la maison BLANCHON furent emmenés à Conflans et emprisonnés.

Environ 1 h plus tard, à 200 m environ se passait un autre épisode. Un douanier en retraite, Mr PLECIS était

saisi par les allemands malgré ses protestations d’innocence, mais le temps de voir mettre le feu à sa maison,

jaillirent les premières flammes, le pauvre homme tombait assassiné sous les yeux de sa femme, plus morte

que vive. Ce fut le dernier sang versé à Jarny. L’holocauste des otages contribua-t-il à sauver le reste de Jarny ?

C’est le secret de Dieu. Ce qui est certain, c’est que la défense d’éteindre les incendies appliquée toute la journée

du 26, a été infirmé le 27 par un ordre venu de Metz.

Un aumônier protestant d’un Etat Major installé à l’hôtel CORDIER, aurait voulu savoir exactement pourquoi le

curé de la paroisse avait été fusillé. Il se rendit donc au lieu de l’exécution et trouva sur le corps du prêtre un

carnet de notes qu’il feuilleta. Et tout impressionné, il aurait dit ensuite : « Qu’a-t-on fait ? Ce n’est pas le Pasteur

de la localité ! C’est abominable. Ce prêtre était une nature supérieure. Il faut faire cesser ces massacres par tous

les moyens, recourir même à l’impératrice ».

Mais s’il est vrai que l’abbé Léon VOUAUX rédigeait un carnet de notes, il n’a jamais été retrouvé et on ne peut

tenir compte d’un témoignage isolé, insuffisamment étayé de preuves.

Mais une nouvelle cruauté s’ajouta aux précédentes : il fut interdit aux parents des victimes de les relever et de

leur donner la sépulture. Ce ne fut que le 27 au matin que la famille du Maire, entre autres, apprit la fin

douloureuse et glorieuse de leur chef.

Ainsi pendant 2 jours et demi, 25 corps restèrent étendus dans les rues et chemins, bafoués par les troupes qui

passaient ; les rares civils pleuraient. Celui de l’abbé surtout, provoquaient ces hommages et ces insultes.

Cependant, Mme MANGIN vit un officier saluer les otages, un autre repousser violemment un soudard qui

soulevait la soutane du prêtre. Mais les poches avaient été fouillées car le 28, on trouve à la place d’un

porte-monnaie une ,pochette avec un mark et quelques pfennigs. Un 3éme officier s’était encore montré plus

délicat ; il recueillit le pince-nez de l’abbé et enleva le chapelet de ses doigts avec l’intention de rendre à la

famille ces objets si précieux par le souvenir. Malheureusement la famille n’a jamais rien reçu.

En raison de la chaleur Mr le Dr BASTIEN réclama, pour des raisons d’hygiène, l’inhumation des victimes. Un

officier allemand aurait insisté en ce sens auprès du commandant d’étape. Bref, la permission d’enterrer fut

changée en un ordre. Sous la direction de Mr GRIMARD, une équipe fut constituée, une voiture réquisitionnée.

Durant la matinée du 28, au milieu des ruines fumantes d’une trentaine d’immeubles, la corvée traversa la cité

pour se rendre au cimetière avec sa charge lamentable. Là, une autre équipe creusait à la hâte des fosses

communes où, côte à côte, seront étendues les malheureuses victimes. Entre temps, l’autorisation parvint de

mettre dans un cercueil le Maire et le curé. Mais la piété familiale surmontant toute crainte, l’avait devancée.

Un prêtre sarrois, aumônier militaire, chargé de visiter les champs de bataille de la région, apprend ce qui s’est

passé. Par Doncourt, il arrive à Jarny et, guidé par des jarnysiens, il se rend au cimetière. Il y aperçoit les

masses  de chair criblées de balles. Cependant la tête de l’abbé Léon VOUAUX est intacte. A la vue de ces

innocentes  victimes, il pleura bien amèrement. Mr HUMBERT, chantre de Jarny était inconsolable.

L’aumônier pria longuement pour tous et demanda quelques renseignements au docteur à qui il parut

sincèrement affligé de la conduite barbare de cette guerre. Il chercha dans les poches de la soutane, mais en vain,

la clef du tabernacle, car il voulait sauver les Saintes Espèces. Enfin, les cercueils étant arrivés, le corps de l’abbé

Léon VOUAUX fut déposé dans une concession perpétuelle offerte par le Conseil Municipal et celui de Mr

GENOT,  dans le caveau de famille.

Notons encore en passant que, Mr le curé de Labry, ayant demandé le 27, l’autorisation de venir à Jarny

s’occuper de l’église, n’obtint son laisser - passer que le 4 septembre.

On verra plus loin ce que le Conseil Municipal fera pour perpétuer le souvenir de ces tristes journées d’août.

Pendant ce temps, les troupes occupaient la cité, et les jarnysiens, si fiers de leur nouveau groupe scolaire, eurent

le chagrin de constater que les allemands y avaient mis leurs chevaux, lesquels passaient fièrement leur tête par

les fenêtres. Quelle odieuse opération !

La gare était inaugurée par l’installation d’une ambulance et de la kommandantur Mr LOUIS, 1er adjoint, fut

mis dans l’obligation d’assumer les fonctions de Maire. Et sur chaque ordre la même phrase était reproduite :

« obéissez ou vous serez fusillé ». Alors commencèrent les réquisitions de toutes sortes : logements, fourniture

de literies, linge, etc.… puis fourniture de main-d’oeuvre pour travaux des champs, au dépôt du chemin de fer,

sur les voies, sur les routes etc.…

En décembre 1914, la ville se vit frappée d’une amende de guerre de 10000 F. C’est la brasserie de Jarny qui fit

l’avance.

La farine était livrée par le moulin d’Hatrize. C’est Mr WEYRICH Eugène qui fabriquait le pain, la distribution

était surveillée par un conseiller municipal à raison de 200g par tête et par jour.

Dans les mines, les allemands installèrent un directeur à eux, mais ce ne fut pas pour continuer l’extraction ;

son principal travail était de démonter tout ce qui pouvait être utile pour l’armée.

Les trains fonctionnèrent rapidement jusqu’en gare de Conflans-Jarny, les ponts sur l’Orne ayant sauté avant

le départ des troupes françaises. La gare devint un grand centre de ravitaillement pour la Véme Armée

occupant la section de la Woëvre et dont l’Etat Major était au château de Moncel.

Une grande tuerie fut installée à la brasserie de Jarny : tout le bétail récupéré dans la grande plaine de la

Woëvre y était abattu. Les colonnes de ravitaillement partaient tous les soirs pour aller ravitailler les troupes

du front qui occupaient les Hauts de Meuse. Les civils pouvaient obtenir à cette tuerie quelques abats

moyennant une faible rétribution, mais ils étaient réservés principalement aux titulaires de cartes de

travailleurs auxiliaires de l’armée allemande.

Puis ce fut la réparation du pont de l’Orne pour le rétablissement des lignes sur Etain et Longuyon. Mr le

Maire dut réquisitionner tous les hommes valides, Mr LEVI, quincaillier de la maison achetée par Mr

VILLAUME, ayant fait le récalcitrant, y fut conduit, attaché par une corde derrière une auto.

Puis au début de 1915, un général inspecteur du service de la santé, arriva à Jarny pour organiser un

hôpital dans le groupe scolaire. Quand il vit qu’on avait des chevaux dans les classes, il poussa des jurons

de colère, menaça le Maire, comme si c’était de sa faute. Heureusement pour Mr LOUIS, son fils connaissait

très bien l’allemand et il put ainsi démontrer à ce général que c’était leurs soldats les fautifs lesquels étaient

fous de rage à leur entrée dans la cité.

Alors, nouvelle réquisition, mais cette fois, de femmes pour nettoyer les écoles sous la direction du service

sanitaire et les bureaux de la mairie pour y installer les bureaux de l’hôpital. Quand les locaux furent propres,

le printemps était là, ce fut l’organisation des jardins où les malades pourraient s’y promener. Mr LOMBARD,

évacué d’Euvezin,se vit confier ce travail délicat pour lequel il sut s’attirer l’estime des officiers en créant des

parterres et des massifs garnis de fleurs (amenées de Metz par les infirmiers).

Mais les casernes de Labry devaient elles aussi, être transformées en un vaste hôpital de campagne. Le

nombre des femmes n’étant pas suffisant à Labry pour faire les travaux imposés, l’étape Kommandantur

siégeant à Conflans, ordonna au Maire de Jarny la fourniture de 60 femmes tous les jours. Le garde JANNOT

n’était pas à la noce pour trouver son monde, il fut critiqué, c’est normal, mais aussi il se heurtait souvent à

des protégées et n’avait souventson compte.

Toutes les personnes ainsi réquisitionnées étaient payées par le Maire, qui était dans l’obligation d’emprunter

pourfaire face aux dépenses imposées.

De plus une deuxième amende de 10 000 frs était de nouveau imposée avec comme prétexte : mal propreté

de la commune.

C’est alors que l’on vit Mrs CORDIER, MOSER et NEVEUX racler et charger la boue aux environs de la gare,

où des milliers de voitures hypo-mobiles circulaient tous les jours.

Fin 1915, on assista à un transport de munitions d’une ampleur formidable, on vit défiler les gros 220 mm

autrichiens, les trains de gros bateaux pour le passage de la Meuse.

On le sut un peu plus tard, c’était la préparation de l’attaque sur Verdun.

Le 21 février 1916, à 9 h du soir commença un bombardement inimaginable qui dura presque trois jours,

c’était un véritable tremblement des portes et des fenêtres. La tristesse régnait sur tous les visages et le 24

à midi on apprenait la prise du fort de Vaux et le 26 celle du fort de Douaumont.

Ici, nous croyions bien à la chute de Verdun, mais quand nous vîmes arriver les centaines de voitures

transportant les blessés arrivant du front, nous avions l’impression que si Verdun tombait, ce serait au prix

d’un engagement humain sans précédent.

L’hôpital de Jarny et celui de Labry étaient incapables de soigner les blessés qui se chiffraient par milliers.

Aussitôt les premiers soins ou les amputations réalisées, ils étaient dirigés sur Metz. On a vu des voitures

chargées de blessés stationner presque la journée avant d’arriver à l’hôpital, c’étaient des cris parfois affreux,

ce qui faisait mauvaise impression sur les soldats qui n’avaient même pas le droit de converser avec les blessés

légers.

Cette situation dura plus de 8 jours à cette cadence et l’attaque projetée étant transformée en échec, pendant

les 100 jours de la bataille de Verdun, les blessés continuèrent à affluer, mais en nombre réduit. Néanmoins l

a devise « Verdun, on ne passe pas », avait porté ses fruits.

Mais pendant ce temps là, la population civile avait faim. Un convoi, rassemblant toutes les bouches inutiles,

fut dirigé sur la France par la Suisse par les allemands. Cela avait passablement réduit le chiffre de la

population  qui était tombée à 900.

C’est alors que se constitua le comité de ravitaillement « Belgo-American » dont notre centre de distribution

était Longwy. Ce comité fournissait farine, café, sucre, riz, lard, légumes secs, graisse conservés, le Maire était

chargé d’en assuré la distribution à la population suivant les quantités imposées.

Pour le canton, le dépôt était installé maison SAINTIGNON. C’est Mr BIGNET avec Mr ROLLIN Jules qui en

tenaient la comptabilité.

A Jarny, les marchandises furent entreposées dans un magasin de la Belle Jardinière géré par Mr POULAIN.

C’estlà que se faisaient les distributions mensuelles. Pour les personnes dans l’indigence, l’avance était faite par

la commune.

Courant 1916, les allemands procédèrent au rééquipement de la mine de Droitaumont dans le but de reprendre

l’extraction. C’est alors qu’en fin d’année, on vit arriver une quantité de prisonniers russes pour procéder à

l’abattage du minerai. Mais après avoir pataugé pendant plusieurs mois avec des hommes non expérimentés et

mal nourris, les allemands se rendirent compte qu’ils n’arriveraient à rien et le démontage recommença de plus

belle. Par contre, ils trouvèrent un autre moyen d’occuper les prisonniers russes. Ils installèrent un camp à

Moulinelle, dans des baraquements en bois et mirent en chantier un raccordement de la ligne de Homécourt

avec celle de Nancy pour éviter aux trains de descendre en gare de Conflans – Jarny.

Ce fut un travail assez long et qui ne leur a pas beaucoup servi, les faits ne s’étant pas déroulés comme ils

l’avaient prévu. Heureusement pour nous !

Au cours de ces travaux, de nombreux prisonniers sont morts de privations et enterrés prés du cimetière de

Labry. Il y eut aussi, malheureusement des civils français du Nord et des Belges qui vinrent remplacer les

russes qui trouvèrent la mort. Aucun acte de décès n’a été rédigé à Jarny ni à Labry où ils ont été également

inhumés. L’occupation se prolongea ainsi jusqu’en 1918 non sans avoir subi bien des bombardements aériens

aux cours desquels les allemands eurent bien des morts et des blessés, surtout quand les avions surprenaient

un débarquement de troupes pendant la nuit.

Un civil nommé « Serrure » fut tué par suite de son imprudence : il regardait les avions sur la porte d’entrée

de Labry, il reçut un éclat de bombe qui fut mortel pour lui.

La reprise de Vaux par le général PETAIN avait un peu réveillé notre courage et nous abordions l’année 1918

avec une ferme conviction que ce serait la dernière, les troupes américaines étant enfin entrées dans la mêlée

d’une façon efficace.

Aussi, quelle joie pour ceux qui virent, le jour du 14 juillet, dans le ciel, au-dessus du soleil levant, un grand et

magnifique drapeau tricolore bien prononcé, ce phénomène put être constaté pendant plus d’un quart d’heure.

Alors les coeurs palpitèrent d’espérance, surtout qu’aussitôt on apprenait une grosse concentration américaine

dans la région de Saint-Mihiel et la recrudescence de l’artillerie au Bois le Prêtre.

Enfin, à force de patience, on est arrivé au mois de septembre 1918. Le 2, à 2h du matin, on entendait un bruit

de canon inconnu à ce jour suivi d’un éclatement dans notre direction. Vingt minutes plus tard, nouveau coup

et un ronflement d’avion ; c’était un des nôtres qui venait vérifier le tir des pièces de 380 mm qui nous

envoyaient leurs petits cadeaux depuis le bois de Sommedieue. A 8 heures, les obus tombaient en plein dans la

gare et le dépôt.

C’était la préparation de l’offensive pour dégager la trouée de St Mihiel.

A partir de ce moment, la vie devint plus pénible par suite de la recrudescence de la méchanceté des soldats.

Cependant beaucoup commençaient à en avoir assez.

La gare de Conflans – Jarny se trouvant sous un bombardement, ne pouvait plus être utilisée et le centre de

ravitaillement fut reporté à Valleroy.

En plus des canons, les avions activaient leurs efforts mais les allemands installèrent à Tichémont leur fameuse

« Escadrille Rouge » qui leur porta des coups terribles. C’est ainsi qu’un avion américain fut abattu le 9

septembre prés de la passerelle de Labry, et le 13, un bombardier français tomba en flammes prés du chemin

des ânes. Les 3 occupants, complètement carbonisés ne pouvant être identifiés, furent inhumés dans une fosse

commune dans le cimetière communal où ils sont toujours. Après l’Armistice, on apprenait qu’il s’agissait de :

La ville a fait don de la place à perpétuité, les familles des héros vinrent longtemps faire une visite annuelle

mais aujourd’hui, il semble ne plus y avoir de survivants car on ne voit plus personne. La tombe est recouverte

d’une pierre tombale et les noms des 3 braves sont gravés dans la pierre.

L’attaque des américains dans le secteur de St Mihiel commença à se faire sentir dés le début d’octobre. Le

général commandant la 5éme Armée et son Etat-major se replia sur Metz ainsi que tous les gros centres de

ravitaillements et les hôpitaux.

Le 1er novembre, la gare fut prise sous un bombardement intense par canons et par avions, le soir même un

train sanitaire, qui devait être le dernier, reçut 2 obus sur les 2 derniers wagons qui furent pulvérisés. De

nombreux blessés y trouvèrent la mort. A partir de ce moment, la gare fut fermée à tout trafic.

C’est alors que le bruit courut qu’il y allait avoir « Armistice ». Le jour fixé était le 11 novembre à 11 heures.

Ce jour arrivé, le canon faisait rage et notre espoir semblait devoir être transformé en un rêve.

Mais tout à coup, à 11 heures, ce fut le silence absolu. C’était enfin fini. Cette guerre avait duré 4 années et

100 jours.

En France non occupée, ce fut une journée de joie immense. Mais ici, ce n’était pas encore la liberté. Des

drapeaux tricolores confectionnés en hâte avaient été mis aux fenêtres, mais les officiers allemands s’y

opposèrent par crainte de riposte de la part des soldats, car à ce moment ils n’étaient plus maître d’eux

comme précédemment.

A partir du 12, les troupes quittèrent notre région et le dimanche 16 novembre, les troupes américaines

entrèrent à Jarny ayant à leur tête le général Pershing.

Mr LOUIS, entouré du Conseil Municipal et de plusieurs notabilités, présenta aux libérateurs les plus vifs

remerciements de la population. Une fillette NP a ensuite une gerbe de fleurs au général PERSHING qui

l’embrassera bien chaleureusement. L’Hôtel de Ville était paré de drapeaux fabriqués en hâte aux couleurs

françaises et alliées. Un entretien amical eut lieu ensuite entre le général et son Etat Major et le Maire

entouré des Conseillers Municipaux, au sujet des formalités à remplir pour le logement des officiers et des

soldats qui allaient cantonner dans la Commune.

Le soir même, sur la demande des officiers la salle de la brasserie « Concordia » fut débarrassée et un bal

fut organisé pour fêter la délivrance de Jarny du joug allemand et effacer momentanément les tristes

souvenirs de cette longue occupation.

Les jours suivants, Jarny continua à revivre.

Le ravitaillement américain qui avait été transporté à Valleroy, par suite des bombardements de la gare,

réintégra Jarny et les stocks installés dans les grands locaux de la maison THONON et les bureaux dans le

logement de Mr THONON. Les distributions continuèrent jusqu’à ce que le commerce français soit capable

d’assurer le ravitaillement de la population.
 

Les bureaux de la mairie furent réouverts avec les moyens de fortune et la vie municipale reprit petit à petit

avec la rentrée des habitants qui pouvaient regagner leurs habitations.
 

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Date de dernière mise à jour : 03/03/2024