Bâtiments (suite)

 Bâtiments et aspects techniques (suite)

 

La cour située à l'ouest de la papeterie est au début du XIXe siècle
une propriété communale, non cadastrée. Le mémoire non daté des
Fayon (vers 1825) mentionne divers travaux des propriétaires de la papeterie
sur ce terrain(SO). « Pourquoi cette cour est-elle plus élevée que la
voie publique ? C'est parce que n'étant qu'un marais avant la construction
de l'usine, on a été forcé de rapporter considérablement de terres et
de pierres pour donner plus de solidité au sol, pour filtrer l'eau et l'empêcher
de gagner la superficie ». « Pour rendre cette cour praticable il a
fallu établir un conduit souterrain qui la parcourt en partie et sort à 3 ou
4 mètres du bas », vers 1812-1815. Les Fayon ont aussi construit un mur
de soutènement du terrain.
En février 1828, les héritiers Fayon exposent à « Monsieur le Préfet
que le pâtis sans valeur comme sans rapport, adjaçant à la papeterie, appartenant
à la commune de Jarny, leur serait avantageux pour l'aggrandissement
de cette usine, notamment pour la construction de chambres
de colles, hallier et différens autres objets indispensables à cet établissement.
Le terrain nécessairee serait de vingt neuf mètres au levant de la
papeterie, huit un tiers ou vingt-cinq pieds au nord »(81). La réponse fut
négative à la suite de l'opposition de la municipalité. Cependant, en
octobre, une nouvelle lettre précise « pour le rétablissement projetté de
ces usines, ils [Fayon] ont déposé sur cet emplacement sept corps d'arbres
chênes »(81). Ils rappellent aussi leur intention de construire au printemps
suivant un hallier, « la cour au devant du moulin . . . est couverte
de pierre de taille et autres objets ». On ne sait finalement si les travaux
ont été réalisés.
Les actes notariaux ultérieurs donnent quelques détails sur l'agencement
intérieur. Le 20 août 1850, Mlle Fayon et J
.-B. Poinsignon font le
partage de la papeterie : « la partie à prendre au midi, composée de trois
pièces dont deux formant l'étendue de cette partie dans toute sa longueur,
et l' autre, dit pourissoir, en dessoux du sentier communal, et d'une partie
du jardin de M. Fayon, avec les greniers au dessus. La partie à prendre
au nord, c'est-à-dire du côté de Labry, composée de trois pièces à la
suite l'une de l'autre, formant aussi l'étendue de cette partie dans toute
sa longueur, avec les greniers au-dessus »(82) ,
Quelques brèves mentions parlent des aspects techniques. D'abord
ce pourrissoir que nous venons de rencontrer dans l'acte notarié. C'est
là que les chiffons se décomposent selon un rythme d'arrosage et de repos
calculé qui permet la destruction des matières organiques autres que les
fibres et l'assouplissement et la décomposition des fibres de cellulose
sans toutefois les laisser trop pourrir.

80) w O 1852.
81) w 0 1856.
82) Arch. M" Dubois et Nafziger.

La phase suivante, c'est la réduction du tissu déjà bien décomposé
en pâte à papier. Pour cela, deux techniques sont possibles : la méthode
ancienne par pile à maillets ; la méthode plus récente et performante par
cylindres à la hollandaise. Dans le premier cas, un arbre à came transforme
le mouvement circulaire de la roue actionnée par le courant du
cours d'eau, en mouvement linéaire. Les cames, judicieusement disposées,
soulèvent alternativement plusieurs bras terminés par des maillets
armés de pointes et lames métalliques destinées à déchiqueter et réduire
en pâte les chiffons décomposés. C'est la technique toujours utilisée de
nos jours dans le moulin-musée de Richard-de-Bas, en Auvergne. Plus
moderne et rentable, demandant moins de place et accélérant la production,
le cylindre à la hollandaise a été inventé au cours du dernier tiers
du XVIIe siècle par les Hollandais. Cette révolution technique ne s'introduit
que lentement en France. Le premier à s'y installer l'est près de
Montargis, vers 1740 . Dans les Vosges , en 1766 (83) . Pour la Moselle, nous
ne possédons pas d'étude précisant la chronologie des papeteriesC84l . Il
est possible
de faire le point sous l'Empire, en 1811 (85) :
Ars-sur-Moselle : 56 pilons et maillets. Pas de cylindre à la hollandaise
de mentionné .
Dilling : 3 cylindres à la hollandaise .
Eguelshardt : 4 pilons et maillets. 1 cylindre à la hollandaise .
Jarny : 1 6 pilons e t maillets. 1 cylindre à la hollandaise ou 2 cylindres
(Annuaires Verronnais).
L'enquête de 1812 (86) est plus intéressante encore, car il y est demandé
par qui et quand les cylindres ont été introduits dans les usines mosellanes
fonctionnant à l'époque. A en croire le papetier de Dilling, deux
ont été installés par Jean Leistenschneider, fondateur de l'usine (créée
en 1750), le troisième « postérieurement ». A Eguelshardt, entreprise
vieille d'environ quarante ans, le cylindre n'apparaît qu'en 181 1, à l'initiative
de Lejoindre, propriétaire. Quant à celle de Jarny, elle s'est dotée
très rapidement de ce moyen moderne, dès 1791. A Jarny, les 16 pilons
forment « une batterie de quatre pilles composées de quatre maillets
chacun » .
Pour être complet et mesurer réellement la modernisation, il faut
signaler que l'invention de la première machine à fabriquer du papier
par le français Nicolas-Louis Robert date de 1798 (87) , mais qu'il faudra
quelques décennies pour que cette nouvelle révolution technique se
concrétise dans les papeteries lorraines .

 

83) JANOT, op. cit. , p. 63.
84) HOTTENGER, op. cit. , p . 79 indique simplement : << les antiques batteries . . . avaient été
presque partout, sauf dans la Meuse, remplacées par des moulins ou piles à cylindres >> .
85) p12 1602.
86) 227 M.
87) Dard HUNTER, Papermaking. The history and technique of an ancient craft, 2' éd . , New-York,
1947

 


On peut apporter d'autres précisions sur les piles à cylindre de Jarny.
L'annuaire de Verronnais pour l'an 1 807 signale : « papeterie digne
d'être vue par la construction de son cylindre qui est tout en pierres de
taille, d'une grosseur prodigieuse ». Les mêmes annuaires pour les ans
1812 à 1816 parlent d'«une papeterie à deux cylindres . . . Les fils Fayon
ayant inventé des rouets en fonte pour les cylindres » .
Avant de quitter la phase de réduction des chiffons en pâte , mentionnons
un terme relevé dans une des enquêtes : les bachassons(BB) . En
1826, les enquêteurs indiquent pour Jarny : « les propriétaires remplacent
les bachassons, ils les construisent en pierre de taille, en raison de
la difficulté de se procurer des bois de dimension suffisante ». Bachat ou
hachasse signifie bassin, auge en vieux français (89) . En Auvergne, les
« bachassous » ou « bachalous » sont de minuscules boîtes carrées en
sapin jouant le rôle de filtres ultimes, communiquant avec le creux de
pile par un tuyau de plomb et pouvant d'autre part être débondés par en
dessous lorsque l'eau doit être coupée (90) . Ce ne peut donc être la même
chose qu'à Jarny. Il faut plutôt y voir le creux de pile dans lequel le tissu
se réduit en pâte. En Auvergne toujours, on le nomme « bachat » et jusqu'
à

l'époque de Louis-Philippe il est en bois (creusé dans le tronc d'un
chêne d'une seule pièce) pour être progressivement remplacé par une
auge en pierre taillée dans le granit (91) .
En conclusion, cette phase de la production est relativement moderne
(mais sans machine automatique bien sûr).
La pâte prête, vient la fabrication des feuilles de papier. Elle s'effectue
dans des cuves. Leur nombre est susceptible de donner une idée de
l'importance des usines mosellanes :

Pate cuve

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La papeterie de Jarny a donc évolué durant son demi-siècle d'existence
: cylindre à la hollandaise quelques années après sa construction,
projet de création d'une fabrique de tabatières vers 1806-1 807, agrandissement
dans les années 1820, projet d'extension en 1828. On ne sait si
les travaux se font par le personnel ou p ar des artisans locaux . Notons
qu'au cours de la Révolution, Charles Fayon passe plusieurs traités de
fournitures : le 6 pluviôse an III, Charles Mouza, de Jarny, s'oblige à
fournir « des ferremens pour une somme . . . de quatre cent livres ». Le 8
octobre 1796, c'est Martin Mangeot, de Boncourt, qui vend « douze
morceaux de bois . . . moy[ennan]t une somme de trente francs »(92) .

88) 227 M .

89) HUGUET, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Paris,19 25-1967.

90) BOITHIAS et MONDIN , Commen t . . . , pp. 28-30.

91) Idem, p. 22.

92) 3 Q 159 1 , fo 9vo et fo 63V0•

 Fleche gauche   INDEX                                        DE LA PRODUCTION A LA VENTE  Fleche droite

Ajouter un commentaire

 

Date de dernière mise à jour : 28/01/2021