De la production à la vente

III - De la production à la vente


Les machines et les hommes qui les servent ont pour corollaire la
production d'articles et leur écoulement sur le marché. Ce sont essentiellement
ces points que nous allons maintenant aborder.


1. L'approvisionnement en matières premières (93)


La matière première la plus importante est le chiffon, encore appelé
drille. Nous verrons un peu plus loin que les difficultés d'approvisionnement
au cours de la Révolution limitent la production. Plus tard, en 1812,
lorsque l'enquêteur demande de préciser les ressources du pays sous le
rapport de l'approvisionnement en chiffons, il est répondu par les Fayon :
« médiocre à cause du voisinage des papeteries de la Meuse »(94) et sur
un autre document de la même année, le sous-préfet précise que les chiffons
se tirent « du pays même ». En 1826, C. Fayon indique « Metz » .
Ces chiffons sont de diverses qualités : « superfin, fins et communs »,
en 1812, permettant la production de papiers portant les mêmes noms.
En 1811 et 1812, la « consommation » (disons les achats) en chiffons
s'élève à 20 tonnes par an, toutes qualités confondues , mais nous sommes
à une époque de sous-emploi de la papeterie. Sous Charles X, en 1826 ,
elle atteint 60 tonnes annuellement, ce qui, compte tenu de sa capacité
de production doit correspondre à peu de choses près à un approvisionnement
normal. A titre de comparaison, à part Dilling qui n'absorbe
que 15 tonnes, Ars et Eguelshardt tournent autour de 120-140 tonnes,
en 1812. En 1829, les chiffres manquent pour Jarny qui est devenue une
cartonnerie, mais permettent de situer à nouveau les autres : Eguelshardt
recule, avec 70 tonnes, Mainbottel ressuscitée atteint 1 00 tonnes, et les
différents établissements d'Ars culminent à 250 tonnes.

 

92) 3 Q 159 1 , fo 9vo et fo 63V0•
93) Tous les renseignements relatifs à ce paragraphe proviennent de la liasse 227 M, sauf ceux qui
concernent 1811 , tirés de F12 1602.
94) Nous avons vu (cha p. I) que l'îlot d'usines meusiennes le plus proche est distant d'une bonne
trentaine de kilomètres.

La comparaison de la consommation de chiffons et de la production
de papier est intéressante. En écartant les résultats apparemment aberrants(
95 , on note qu'il faut de 14 à 20 kg de chiffons pour produire une
rame de papier(96). Le poids d'une rame varie d'une qualité à l'autre, et
même d'une entreprise à l'autre, avec des formats qui peuvent différer.
A titre d'illustration, voici les caractéristiques du propatria à Jarny, Dilling
et Ars : (dimension non précisée), 7 kg ; 13 sur 1 6 , 6 à 7 kg ; 14 sur
16 1/2 , 9 à 10 kg. En tenant compte du poids moyen d'une rame, nous
aboutissons pour ces chiffres à une similitude avec le calcul fait pour
Jarny : il faut environ 2,22 kg de chiffons pour produire 1 kg de carton
en 1826.

Quant au prix d'achat des chiffons, il est très variable, non seulement
parce qu'il recouvre des qualités fort différentes, mais aussi sans
doute en fonction des possibilités d'approvisionnement.


Coût des chiffons (en francs par quintal)

                                    ( Pour agrandir l'image cliquer dessus)

Cout des chiffons



 

 

 

 

 

 

 

En trente ans, les prix n'ont fait qu'augmenter. Colchen ne rapporte-t-
il pas déjà les soucis des papetiers qui vers 1802 « se plaignent surtout
de ce que les chiffons sont enlevés sous leurs yeux pour les transporter
en Hollande ; en sorte que non seulement ils sont privés de matières premières
mais qu'en outre la concurrence qui s'établit, en double presque
le prix, au point de l' avoir porté de 7 fr. à 13 fr . le quintal »(97).


A côté des chiffons , une autre catégorie de matières premières est
nécessaire : les produits destinés au collage . A Jarny , les papetiers
emploient de la colle , de l' alun et du vitriol bleu , sans que nous sachions
où ils s' approvisionnent . L' alun purifie la colle , la rend plus pénétrante .
En France , le dosage est d'environ 1/20e à 1/15e du poids des matières à
faire la colle avant la cuite (98). La colle est généralement produite sur le
lieu même à partir de déchets que les tanneurs ne peuvent utiliser : os,

membranes, peaux, tendrons (99). Des lettres tirées des archives de la
papeterie Lana (Vosges) précisent même que la colle doit être riche en
nerfs et surtout en oreilles et ne contenir ni chaux, ni poils, ni chair pourrie
ni raclure (100). Ces déchets doivent probablement se trouver sur place
et dans les villages voisins. A la fin du XVIIIe siècle, il existe des tanneurs
à Allamont, Doncourt et Jarny ; sous l'Empire à Affléville et Jarny; sous
la Restauration à Affléville, Conflans et Jarny (101) . A Jarny, c'est un
membre de l'importante famille Georges qui exploite la tannerie .

95) Les chiffres des statistiques n e sont pas systématiquement à prendre pour argent comptant. M .
HOTIENGER (op. cit.) e n a donné quelques exemples à propos des mémoires des préfets d e l'an XI .
96) Calculs pour Ars , Dilling, Mainbottel, Eguelshardt (1812, 1829) . Pour Jarny, les renseignements
de 1811- 1812 sont à écarter. Le stock de chiffons est utilisé partiellement. Les chiffres les plus concordants
sont ceux de 1829 .
97) COLCHEN, op. cit. , p. 146.
98) JANOT, op. cit. , p . 39.

99) BOITHIAS et MONDIN , Naissance . . . , p. 30.
100) JANOT, op. cit. , p. 38 (lettres de 1789) .
101) Pour la fin du XVIII• siècle : ADMM, 2 E 9 (Allamont) , AC 170, reg. BB 1 (Doncourt) , 2 E 271
(Jarny) . Pour 1807 : Arch. Nat. , p12 1567 . Pour 1816 : ADMos . , 1 S 516.

 

Dans le domaine du collage , chaque papetier possède son secret de
fabrication. C'est pourquoi, à part les Fayon qui donnent des précisions
(mais pas le dosage), les autres restent dans le flou : si Eguelshardt utilise
« du pattu », le meunier de Dilling donne une « réponse élusive » et le
propriétaire d'Ars « a refusé de le dire » !

La production de chaleur est encore faite à partir du charbon de
bois en 1826, dans les papeteries de Moselle. Jarny a besoin annuellement
de deux voitures venant des forêts de la Meuse. L'usage de la
houille interviendra plus tard : aux environs de 1840, Ars et Mainbottel
l'utiliseront(102) .

 

Reste un article indispensable au processus de fabrication : le feutre
qui sera intercallé entre chaque feuille au sortir de la cuve. Jarny et Ars
achètent les feutres à Beauvais, Dilling à Sarrebruck et Metz, et Eguelshardt
à Reichshoffen (Bas-Rhin) .

 

Toutes ces variétés concourrent certainement à des différences de
qualité des produits d'une entreprise à l'autre .

102) ADMos. , 1 S 518.

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Date de dernière mise à jour : 31/01/2021