Importance de la production

 

4. L'importance de la production


Celle-ci peut se mesurer de diverses manières, en poids, en rames (117),
en valeur. Les sources trop peu nombreuses ne permettent malheureusement
pas de se faire une idée correcte de l'importance de la production,
ni de ses fluctuations.
La Révolution a des influences diverses sur l'industrie papetière.
D'un côté, on note une demande fortement en croissance (118), de l'autre
des tendances à restreindre la production par une réduction des formats 
(119). En tout cas, la production ne laisse pas les autorités indifférentes
(120), même si les réquisitions de chiffons doivent incontestablement
perturber l'approvisionnement (121). Au niveau des entreprises, tout cela
se traduit aussi par des fluctuations. Par exemple, la papeterie de Mainbotte!
voit sa production chuter de moitié entre 1789 et l'an IX (122) et dès
l'an II est est sous-utilisée (123). Le petit établissement de Boulay, en
activité à cette date, va disparaître avant le Consulat. Le document de
l'an II est malheureusement lacunaire et ne comprend plus ou pas le rapport
du district de Briey qui aurait été intéressant pour Jarny. En 1797,
même documentation trop légère (chiffres pour Ars-sur-Moselle et
Mainbottel).


117) Vingt-cinq feuilles forment une main, vingt mains une rame, dix à douze rames une balle
(JANOT, op. cit. , p. 53) .
118) Pierre CARON (publiés par), Rapports des agents du ministre de l'intérieur dans les départements
(1793-an II), Paris, 1913-195 1 . Cf. t. 1, p. 305 : (26 octobre 1793), << le département de la
Creuse . . . depuis la Révolution, il consomme une quantité immense de papiers >>.
119) Ernest HAUVILLER, Les archives révolutionnaires du département de la Moselle à Metz.
I - District de Briey. II - District de Longwy. III - Actes et correspondance des représentants du
peuple, Paris-Metz, 1910, p. 4 : (district de Briey. Série M) , réduction par économie d u format du
papier de correspondance (1"' déc. 1792) .
120) Exemples dans René PAQUET, Bibliographie analytique de l 'histoire de Metz pendant la
Révolution (1 789-1800). Imprimés et manuscrits, 2 t ., Paris, 1926, p. 529, pour l'année 1794.
121) ADMM, AC 92, reg. des délibérations de Brainville : réquisition des serges (rideaux de lits !)
en février 1794, de chiffons en juillet 1794.
122) HOTTENGER, op. cit., pp . 78-79.
123) Arch. Nat . , p!2 1484 : elle produit 30 000 quintaux par cuve, alors qu'elle peut atteindre les
100 000 quintaux. Des problèmes d'argent dès. 1789 jouent peut-être ausst dans l'évolution : le 19
mars 1789 , le sieur Proth le jeune demande à l'Etat un prêt de 12 000 livres. La réponse est négative.
Cf. Pierre BONNASSIEUX, Eugène LELONG, Ministère de l 'instruction publique et des beaux-arts.
Archives Nationales. Conseil de Commerce 1 700-1791. Inventaire analytique des procès-verbaux,
Paris, 1900, p. 470.

L'enquête de 1798 reprend en la détaillant celle de l'année précédente.
Avec une production de 2,59 tonnes seulement, la papeterie de
Jarny n'est qu'une toute petite entreprise, située bien loin derrière ses
concurrentes d'Ars-sur-Moselle et surtout de Mainbottel. L'insignifiante
part du papier propatria (60 kg !) est expliquée ainsi : « le défaut de chiffons
fins, propres à cette fabrication et la difficulté de s'en procurer
empêche le papetier d'en faire davantage » .


Quelques années plus tard, sous l e Consulat, Bonaparte désirant
mieux connaître le pays qu'il dirige fait procéder à des recherches plus
complètes sur les départements. Pour la Moselle, le préfet Colchen fait
publier un beau volume dont un chapitre est consacré à l'industrie (124) .
Sur les six papeteries que compte alors le département, deux « sont de
peu de valeur », Betting et Dilling. Les trois plus importantes sont Ars-sur-
Moselle, « Eguilhard , près de Bitche » et surtout « Maintbotel ».
Quant à celle de J amy, Colchen précise : (elle) « est en stagnation , et  je
ne prévois pas qu'elle puisse acquérir quelque célébrité » (125) . Replacées
dans le contexte lorrain, les papeteries mosellanes sont d'importance
moyenne, plus grosses que les « minuscules établissements » (126) de la
Meuse, mais cependant en retrait des grosses usines de la Meurthe,
Abreschviller ou Cirey (126) .


La stagnation de cette branche de l'industrie au sortir de la Révolution
est ainsi expliquée par Hottenger : « guerre : elle leur avait fermé
leurs débouchés en Suisse et en Allemagne . . . , elle avait réduit la vente à
l'intérieur; elle avait raréfié les chiffons par suite de la consommation de
charpie que faisaient les hôpitaux . . . , rareté du numéraire , . . . nouvelle
contribution des portes et fenêtres , . . . » .
En 1807, l'Empire est bien installé, l e commerce et l'industrie ont
repris. A cette date, le chiffre d'affaires de Jarny est de 3 000 F, un peu
moins que Mainbottel qui avec 4 000 F poursuit sa phase de crise commencée
avec la Révolution et se trouve désormais en deçà d'Eguelshardt .
On peut suivre la chute de Mainbottel qui en 1812-1813 est déclarée
en non-activité. (Elle revivra cependant, pour disparaître définitivement
avec la guerre de 1914-1918 (126) . Ars-sur-Moselle aussi a baissé, laissant
les premières places à Eguelshardt et Dilling. Quant à Jarny, il reste
apparemment un petit établissement .


Il semblerait que la grave crise économique de 1810-181 1 (127) n'ait
pas touché tout de suite la production jarnysienne. En 1811, elle est
encore de 6000 rames pour une valeur de 2 000 F (baisse d'un tiers en quatre ans)


124) COLCHEN, op. cit.
125) Idem, p. 146.
126) HOITENGER, op. cit. , pp. 78-79 .
127) Odette VIENNET, Napoléon et l'industrie française. La crise de 1810-1811, thèse pour le
doctorat, Nancy, s. d .


et l' enquêteur précise « languit dans ce moment », mais
Eguelshardt a encore crû et Mainbottel est ou va arrêter. La chute est
surtout sensible en 1812 et 1813. Jarny ne produit plus que 600 rames de
papier en 1812. Elle est à moins d'un quart de sa capacité de production.
Quant au carton, dont la fabrication avait été introduite dans la décennie
précédente, il ne s'en fait plus que « très peu ». La crise de l'industrie
papetière participe de la crise générale, que n'a pas amélioré « la concurrence
hollandaise, après l'incorporation de l'ex-royaume du roi Louis
dans la ligue des douanes françaises » (128) .


Replacée dans le contexte de l'Empire, la place des papeteries mosellanes
est mineure. En 1812, l'Empire compte en effet 829 établissements
(papeteries , cartons et cartes) pour un produit en argent de 25 ,58 millions
de francs (129). En comparaison, la Moselle rapporte en 1 8 1 1 la somme de
45 000 F, soit 0 , 17 % !


Peu après, l'Empire s'effondre et le pays est envahi. En janvier 1814,
le département de la Moselle est occupé, sauf quelques places fortes qui
résistent et « toutes les fabriques sont arrêtées , sauf quelques forges
» (130) . La rectification de la frontière à la suite du traité de 1815 mettant
Dilling en Sarre prussienne, enlève une papeterie à la Moselle.
L'arrivée de Louis XVIII va se traduire par une reprise de l'activité (131) .
En 1817, Eguelshardt et Ars-sur-Moselle « sont dans un état prospère »
et « méritent attention », contrairement à Jarny (132) qui est donc toujours
un petit établissement ne parvenant pas à conquérir une part importante
du marché.


Moins de dix années plus tard , les propriétaires de Jamy vont devoir
se résoudre à spécialiser leur entreprise, les « très beaux papiers » sont
abandonnés et le « fort beau carton » devient la production unique. Il
est probable qu'il faille expliquer cette mutation par la renaissance de la
papeterie de Mainbottel (133) qui dès 1 826 occupera une quarantaine
d'ouvriers et produira 4000 rames de papier. Signalons aussi que la
période 1826- 1832 est une période de crise économique (134) . Pourtant
dans les années 1 820, les héritiers Fayon entreprennent des travaux, veulent
s'agrandir et voient parfois leurs tentatives contrecarrées par la
municipalité (cf. infra). Nous avons vu qu'à l'exposition de 1828 , la papeterie
de Jarny est remarquée par le jury .


128) Idem, p . 1 1 3 .
129) MONTALIVET (comte de) , Exposé de l a situation de l'Empire, présenté au corps législatif,
dans sa séance du 25 février 1813, Paris, 1813, p . 78, tableau no 38.
130) Henry CONTAMINE, << Le département de la Moselle en avril 1814 (d'après un document inédit
des archives départementales) >>, dans Les Cahiers lorrains, n° 7-8, juillet-août 1928 , pp. 1 12-1 1 3 .
13 1 ) JANOT, op. cit. , le constate aussi pour l e s Vosges ( p . 24) .
132) VIVILLE , op. cit. , t. 2, p. XI . A la p. 17, l'auteur signale qu'Ars possède trois papeteries, dont
<< la dernière qui a été construite en 1816, emploie des machines et des procédés ingénieux >>.
133) Idem, p. 252. << Mainbottel, . . . cette papeterie presque ruinée par les incursions des ennemis en
1792, commence à reprendre de l'activité >> (1817) .
134) Arthur Louis DUNHAM, La révolution industrielle en France (1815-1848), Paris, 1953 . Dans la
préface, p . XII , Georges BOURGIN énumère les cycles de crises.



L'évolution de la production est ensuite inconnue. Seules quelques
observations demandées peu après la Révolution de 1830 fournissent des
points de repère dans la conjoncture économique (135) . En janvier 1832,
nous apprenons que « les papeteries du dép[artemen]t ont peu d'importance;
elles se maintiennent dans un état assez prospère ». Mais , le 20
du même mois, le rapport au Ministre avoue « des trois papeteries qui
existaient dans le dép[artemen]t , une a cessé en 1831 d'être en activité,
faute d'écoulement pour les produits ; les deux autres languissent » (136) .
En octobre, le rapport est un peu plus optimiste : « les papeteries du
dép[artemen]t ont peu d'importance. Elles se maintiennent dans un état
assez satisfaisant, malgré la concurrence résultant des nouveaux procédés
de fabrication adoptés ailleurs et dont elles ne font pas encore usage ».
Tout semble aller pour le mieux au début de l'année 1834, puisqu'en
février le préfet peut annoncer au ministre que « les papeteries sont en
pleine activité. Le prix des drilles augmente chaque jour, et les fabricans
éprouvent de la difficulté à s'en procurer ». Rappelons que c'est peu après
que Gabriel Havard devient le nouveau dirigeant de la papeterie de Jamy
(courant 1836 sans doute) . Son action et son influence sur la production
nous sont malheureusement inconnues. Tout ce que l'on peut dire, c'est
que l'entreprise n'a plus que quelques années à survivre. C'est au cours
de l'année 1843 qu'elle ferme définitivement ses portes.
Finalement , dans la montée de l'industrie durant le règne de Louis-Philippe,
les propriétaires et exploitants de la papeterie de Jarny ne
savent pas ou ne peuvent faire décoller leur entreprise. Elle reste de
petite dimension et il est probable que dans cette période de concentration
d'unités de production et de mécanisation (mais la crise sévit encore
de 1837 à 1842) (137) , Jarny demeure en dehors du mouvement et en est
finalement une victime (138) .

135) ADMos . , 262 M 1.
136) L'entreprise qui cesse ses activités pourrait être à nouveau celle de Mainbottel : << avait cessé
d'être en activité depuis plusieurs années, vient d'être reconstruite par les soins de M. Harment et
compagnie >> . Cf. VERRONNAIS, Annuaire pour 1837, p . 414.
137) BOURGIN, op. cit. , p . XII.
138) L'étude du mouvement des faillites dans l'arrondissement de Briey durant ces années n'apporte
pas grand-chose. Entre 1833 et 1849 , le nombre annuel oscille entre 0 (de 1834 à 1839) à exceptionnellement
3 en l'an 1844 (1 banquier, courtier ou spéculateur; 2 marchands; 0 industriel) . Cf.
ADMos. , 273 M-4. Il est curieux de constater que bien longtemps après la fermeture de la fabrique,
Paul JOANNE, dans son Dictionnaire géographique et admmistratif de la France, Paris, 1894,
signale toujours << papeterie et cartonnerie » !

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Date de dernière mise à jour : 02/02/2021