Les Ouvriers (suite)

Les Ouvriers (suite)

C'est tout, et bien insuffisant pour tenter une étude sociale. Heureusement
nous connaissons mieux la division du travail en l' année 1812.
Il est probable qu'à peu de choses près, elle soit représentative d'une
bonne partie de la vie de l'établissement. Les sept ouvriers de 1812 se
répartissent ainsi : « un ouvrier de cuve, un coucheur, un leveur, un
gouverneur, un colleur, deux chiffonniers ». Si l'on remet ces métiers
dans l'ordre logique du processus de fabrication, les deux chiffonniers
viennent en premier (63) . Nous verrons dans le prochain chapitre les problèmes
d'approvisionnement en chiffons pour nous borner ici ali travail
des ouvriers. Il est possible que l'activité de nos deux chiffonniers se
répartisse en deux parties : la recherche de matière première - les chiffons
- dans les villages et bourgs environnants; les différentes phases se
déroulant dans la fabrique, c'est-à-dire le tri minutieux des qualités de
tissu, l'ouverture des ourlets, l'élimination des boutons et des parties
inutilisables, dépoussiérer les chiffons et déchirer à la main les pièces
qui peuvent l'être. L'ensemble est mis dans des récipients.


Le gouverneur prend en main la phase suivante. Il est chargé de
toutes les opérations qui permettent d'obtenir une bonne pâte à papier,
propre à la fabrication du type de papier choisi. Homme de confiance du
propriétaire, il vérifie l'état de marche du moulin, dirige et surveille le
pourrissage, le travail au dérompoir (découpe du chiffon en petites parcelles)
la transformation en pâte par l'action des piles et cylindres.


L'ouvrier de cuve récupère la pâte et dépose la quantité nécessaire
à la fabrication dans une cuve. Il se charge aussi d'allumer et entretenir
le feu sous cette cuve. La température doit rester constante, aux environs
de 25 à 30°.

 

Les opérations suivantes exigeraient la présence d'un ouvreur, d'un
coucheur et d'un leveur. Ici, seuls existent un coucheur et un Jeveur. A
noter que dans l'enquête du 9 mai 1812 le mot ouvreur n'apparaît pas
non plus pour les autres papeteries mosellanes. En revanche, à Eguelshardt
on trouve deux plongeurs. La répartition réelle du travail varie
très certainement d'une usine à l' autre, selon son importance. A Jarny,
c'est peut-être l'ouvrier de cuve qui occupe aussi les fonctions d'ouvreur.
Il s'agit pour lui de plonger dans le bain de pâte la forme à papier (treillis
métallique maintenu par un châssis en bois sur lequel s'adapte la couverte
qui détermine l'épaisseur et le format du papier), puis de la sortir
délicatement. Un bon tour de main est nécessaire pour que la future
feuille soit régulière dans son épaisseur.


La forme - de laquelle la couverte a été enlevée - est passée au coucheur
qui la redresse pour en éliminer l'eau durant quelques secondes,
puis dépose la feuille avec adresse sur un feutre. A titre d'indication,
actuellement au moulin de Richard-de-Bas, de 7 à 8 feuilles naissent ainsi
en l'espace d'une minute .


Ces ouvriers après qu'aient été empilés un certain nombre de feuilles
et de feutres cessent la fabrication pour procéder au pressage. Peut-être
le Jeveur est-il présent pour aider ses compagnons. La technique est à
comparer à celle du pressurage du raisin. L'opération permet d'éliminer
environ 80 % de l'eau. Notons qu' à Dilling existe un presseur.


Le levage, enfin , exige là encore une grande dextérité. Il peut se
faire à deux, l'un enlevant le feutre et le leveur la feuille de papier.


Les rames ainsi constituées sont à nouveau essorées par une petite
presse, puis conduites dans un local où elles vont sécher. C'est probablement
cet endroit que l'on rencontre sous le nom de « hallier » dans nos
sources (64) . Après un premier séchage, les feuilles sont remouillées pour
leur redonner une belle forme et une certaine souplesse, puis remises au
séchoir. Nous ne savons pas par qui ces derniers travaux sont effectués à
Jarny. Il est certain que la fabrication n'est pas à proprement parler un
travail à la chaîne tel que nous le concevons aujourd'hui et qu'après
l'achèvement d'une des phases de la production, le spécialiste de cette
phase devient libre pour en effectuer une autre ou y collaborer.


Avant de finir, indiquons qu' autrefois l'ensemble du processus
s'achevait par l'encollage du papier, alors que plus récemment l'opération
s'est effectuée en fin de transformation du chiffon en pâte. Il semblerait
qu'en 1812 ce soit encore la technique ancienne que l'on utilise.
En effet, parmi le personnel de Jarny on remarque un colleur, ce qui
correspond aux sallerans ou sallerannes rencontrés à Dilling et Eguelshardt
D 'autre part, l'enquête du 22 février 1812 répond à la question
« de quelle manière se pratique le collage ? » par « il se compose de
colle , d'alun et de vitriol bleu »(65) . L'encollage se termine par un dernier
séchage .


Il ne reste plus qu'à trier les feuilles , les lisser , les repasser une dernière
fois sous la presse , constituer des mains et des rames .

63) Sur la répartition du travail, cf. Jean-Louis BOITHIAS et Corinne MONDIN , Naissance d'une
feuille de papier du Moyen Age à nos jours, en Auvergne et en France, Arlanc, s. d. et JANOT, op.
cit. , pp. 79·8 1 .

64) w 0 1856.
65) 227 M . L'alun est le sulfate double d'aluminium et de potassium, le vitriol bleu, le sulfate de
cuivre. La brochure de BOITHIAS et MONDIN , Naissance . . . , donne tous les détails sur Je collage
moderne ou ancien (p. 11 et pp. 29 à 3 1 ) .

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Date de dernière mise à jour : 27/01/2021